Projet de stratégie européenne de l’énergie (Livre Vert) 

- mars 2006-

 

 

Le débat se développe dans les capitales européennes après la présentation par la Commission du Livre Vert (Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable) qui sera discuté lors du prochain Conseil Européen des 23 et 24 mars et dont la teneur est maintenant connue.

 

Chacun voit qu’il n’y a pas aujourd’hui de réelle politique industrielle européenne or l’Europe est née de la Communauté Charbon - Acier, qui était bien la mise en œuvre d’une politique industrielle commune et presque déjà d’une politique énergétique.

 

La Commission ne poursuit que la mise en concurrence et la disparition des monopoles, par une espèce de position dogmatique, sans se soucier des dommages collatéraux.

 

 

En effet, chacun voit bien que la Commission, qui n’est que l’émanation des gouvernements des Etats, s’évertue à organiser la  concurrence, à lutter contre les monopoles d’ Etat, à prôner leur mise en pièce pour faciliter l’instauration d’un régime concurrentiel intra européen et qu’elle semble regretter le processus de concentration actuellement en cours où des entreprises, tout particulièrement dans le domaine énergétique, risquent de faire obstacle à la concurrence 

 

De grands groupes: e.on, ENEL, Suez, Gazprom, Endesa,Gas Natural, Edison,

 Centrica, Scottish Power ,…essaient de se développer, d’abord dans leur domaine géographique habituel,

puis en s’étendant à l’extérieur, dans les autres pays européens

 

 

Tous ces mouvements des opérateurs sont lancés le plus souvent indépendamment des gouvernements mais ces derniers sont amenés à intervenir, c’est que l’énergie est une commodité tout à fait stratégique ; du reste en la matière la règle de la subsidiarité prévaut.

 

 

Mais concurremment, et dans  un certain désordre,

 les gouvernements ont des réactions nationalistes

 

 

Des relents nationalistes se manifestent en effet et parfois bizarrement. Le gouvernement français défend Suez alors que la partie ‘énergétique’ de Suez est essentiellement belge). L’Espagne soutient une solution nationale alors que le ‘prédateur’ e.on est une entreprise européenne de tout premier ordre. L’Italie soutient son champion alors qu’il y a peu son réseau s’effondrait, suite à une défaillance intervenue en Suisse, montrant la très grave dépendance de l’Italie par rapport à l’Europe et alors que l’Italie fait preuve en matière d’électricité d’un  manque d’efficacité dont témoigne le prix de l’électricité.

 

Progressivement à travers tous ces soubresauts l’Europe voit apparaître des acteurs industriels à la taille du grand marché qu’elle constitue (450 millions d’habitants)….mais, préoccupée de concurrence, la Commission ne s’est guère soucié de  la fluidité du marché, sans laquelle au lieu d’un grand marché il y a 25 marchés juxtaposés où des productions locales peuvent difficilement approvisionner des régions éloignées. Elle s’est encore moins occupée de sécurité, c'est-à-dire de veiller à la continuité des approvisionnements en tout point du territoire spécialement quand des imprévus surviennent.

 

Tout ceci conduit à constater qu’il y a un succès indéniable de certains grands groupes industriels qui tous s’enrichissent dans leur domaine géographique propre et souhaitent étendre ce domaine en prenant pied dans différents marchés isolés les uns des autres…

 

Tout ceci alors que des besoins

d’une politique européenne de l’énergie forte,

coordonnée et cohérente sont là…

 

Il y a donc, tout aussi incontestablement, échec de l’Europe, la subsidiarité tournant au nationalisme et au protectionnisme anti-européen alors que les besoins d’une politique forte sont là :

-  accroissement continu, important et préoccupant de la dépendance extérieure vis-à-vis de la Russie (gaz) ou du Moyen-Orient (pétrole) ;

- manque de fluidité du marché du fait de l’insuffisance des réseaux et particulièrement des réseaux transfrontaliers (grave insuffisance des investissements, opposition publique à la construction de nouvelles lignes), conduisant entre autres à un manque de concurrence ;

-  manque de sécurité : si grâce à l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) une politique de stocks stratégiques existe en matière de pétrole qui permet à l’Europe d’aider les Etats-Unis sans aucun préavis quand ceux-ci sont frappés par l’ouragan Katrina, rien de tel n’existe en matière de gaz, pas plus  au sein de l’Europe que dans le cadre de l’AIE, ni même dans certains pays européens de sorte que quand la source russe a faibli au début janvier, alors que cela était prévu depuis longtemps, des pays comme l’Irlande et la Suède par exemple, n’avaient que quelques jours de stocks devant eux ; si la crise de janvier dernier avait persisté ces pays auraient été très exposés mais aussi, avec eux, leurs voisins voulant les aider.

 

…et que le prix des carburants augmentent !

 

Ce panorama ne serait bien sûr pas complet si nous ne mentionnions pas l’augmentation des cours du pétrole, avec –dans son sillage– le relèvement du prix du gaz, ni les risques de crise d’approvisionnement avec leur répercussions sur les prix: catastrophes ou chantages Nigeria, Venezuela, Iran pour le pétrole ou Russie pour le gaz.

 

****

***

**

*

Le titre du Livre Vert de la Commission parait dans un tel contexte bien pompeux et bien ambitieux si on considère l’état de l’Union. Le plan de la Commission traite semble-t-il de tous ces aspects évoqués plus haut sans remettre en cause la subsidiarité que beaucoup de pays n’accepteraient pas à commencer par la France et l’Allemagne.

 

Le plan est articulé en six domaines prioritaires, comprenant une vingtaine de propositions concrètes mais qui restent à détailler.

 

Achèvement du marché intérieur à savoir : plan d’interconnexion européen, code de réseau énergétique, régulateur européen, séparation (ou meilleure séparation) des réseaux par rapport aux activités commerciales.

 

Solidarité entre états par la création d’un observatoire de l’approvisionnement, la révision des législations pour permettre la mise en place/le renforcement des réserves stratégiques (gaz et pétrole) pour faire face à d’éventuelles ruptures d’approvisionnement.

 

Définition d’un bouquet énergétique plus durable, économique et diversifié: sans se départir de la subsidiarité l’Europe pourrait développer une analyse stratégique commune de la politique énergétique (avantages/inconvénients, renouvelables/charbon/nucléaire) et en déduire des objectifs globaux communs……tout ceci parait un peu fumeux,…. les objectifs nationaux risquent bien de ne pas découler des objectifs globaux communautaires et on voit mal comment ils se déclineront entre les différents opérateurs présents.

 

Mesures pour lutter contre le réchauffement climatique: améliorer l’efficacité énergétique, économiser 20% d’ici 2020, fixer des objectifs réalisables afin de créer un ‘climat de stabilité’ pour les investissements et améliorer la compétitivité des énergies renouvelables…..(tout ceci est longuement détaillé).

 

Etablir un plan des technologies énergétiques stratégiques pour permettre aux entreprises européennes de s’installer au premier plan mondial dans ce secteur des technologies et des procédés de nouvelle génération…..(tout ceci reste à préciser).

 

Mettre en place une politique énergétique extérieure commune c'est-à-dire

- définir des priorités en ce qui concerne les infrastructures de sécurité (oléoducs, gazoducs, terminaux GNL) et arrêter les actions concrètes en faveur de leur réalisation ;

- définir un espace réglementaire commun ;

- définir une approche reflétant l’interdépendance entre l’Europe et ses partenaires (dont la Russie, 1er fournisseur) ;

- proposer un mécanisme communautaire de réaction rapide en situation de crise.

 

En conclusion de son Livre Vert sur une nouvelle politique énergétique avec pour objectifs principaux la durabilité, la compétitivité et la sécurité d’approvisionnement, la Commission formule donc des propositions concrètes :

- l’UE doit achever la réalisation des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz.

- l’UE  doit  veiller  à  ce  que  son  marché  intérieur  de  l’énergie  garantisse  la sécurité  d’approvisionnement  et  la  solidarité  entre  les  États  membres.

qui relèvent du bon sens le plus pur.

 

Une autre qui risque fort d’éterniser le débat :

- la Communauté a besoin d’un vrai débat à l’échelle communautaire sur les différentes  sources  d’énergie.

en effet  partout les gens veulent tout et son contraire, et  sans jamais vouloir en payer le prix !.

 

Deux autres enfin sur lesquelles on voit difficilement un accord des 25 :

- l’Europe doit relever les fis en matière de changement climatique d’une façon qui soit compatible avec les objectifs de Lisbonne.

car les propositions longuement détaillées par la Commission semblent excéder son pouvoir de leadership et ses moyens, ne serait-ce que financiers.

- un plan stratégique pour les technologies énergétiques

sur lequel rien de concret n’est avancé (encourager l’innovation, intensifier l’effort de recherche,…..) .

 

Une dernière enfin qui est éminemment politique :

- une politique énergétique extérieure commune.

 

 

Comme on le voit il y a beaucoup de grain à moudre. Des décisions positives et concrètes sur les deux premiers points seraient déjà un succès, des progrès sur les quatre suivants seraient un triomphe à condition de ne pas laisser l’Europe poursuivre des chimères. Pour que le Livre Vert ait des suites contrairement à beaucoup d’autres livres verts antérieurs il faut une volonté commune des Etats, ce qu’on devrait vérifier très prochainement, et une capacité réelle de leadership de la part de Bruxelles, ce qu’on n’a guère vu depuis très longtemps.