La Cour des comptes remet son rapport (15 février 2012)

Très attendue, la Cour des comptes a remis le 31 janvier, comme prévu, le Rapport sur les coûts de la production électronucléaire que lui avait commandé le Premier Ministre le 17 mai 2011.

Ce rapport devait avant tout apporter des réponses claires à une question soulevée de façon récurrente : les coûts de production nucléaire indiqués par EDF sont-ils complets ? Sont-ils correctement évalués ? Il s’agissait donc, après l’accident de Fukushima et avant l’élection présidentielle, de voir dans le détail si, comme le répètent inlassablement les mouvements hostiles au nucléaire, les coûts ignorent délibérément certains postes et sont sous-évalués (pas de provisions pour le démantèlement des installations ou le stockage des déchets entre autres).

La Cour indique sans détour que les coûts sont complets. Elle précise que les charges futures, démantèlement et stockage ultime des déchets, qui sont, par nature, incertaines, ne peuvent à ce stade être complètement validées, en effet si les méthodes de calcul utilisées sont effectivement pertinentes, les chiffres retenus mériteraient d’être qualifiés par des expertises approfondies.

La Cour a par ailleurs évalué l’impact sur les coûts de production d’une sous évaluation importante des coûts de démantèlement de 50% et d’un doublement du coût de stockage des déchets : bien que les sommes en cause soient très importantes, l’impact sur le coût du kWh serait très limité, respectivement 2,5% et 1%.

En clair, les coûts sont complets et ils mériteraient d’être précisés sur certains points : il n’y a là rien d’anormal, du reste EDF, AREVA et le CEA, qui n’ont rien appris avec ce rapport et ont tout lieu d’en être satisfaits, se sont abstenus de tout commentaire.

La Cour s’est intéressée à l’évolution des coûts et en particulièrement à leur évolution prévisible dans les prochaines années. Elle a constaté que les coûts actuels sont bien cernés mais que les investissements de maintenance allaient croître de façon importante, en gros un doublement en moyenne sur la période 2011-2025 par rapport à ceux de 2010. A cette hausse viendront s’ajouter les investissements dus au renforcement des mesures de sûreté découlant des enseignements de l’accident de Fukushima, celui des nouveaux équipements (EPR) et de la recherche (4ème génération), de sorte qu’il faut prévoir une hausse du coût de production du kWh de l’ordre de 10% au moins et 15% au plus.

Déçus de la reconnaissance de l’absence de « coûts cachés », tous les adversaires du nucléaire et les défenseurs des énergies renouvelables et une partie des media, ont bien sûr souligné haut et fort l’effondrement du « mythe du nucléaire pas cher » ou plus généralement d’une énergie pas chère, applaudi le « désaveu infligé aux promoteurs de l’atome », proclamé le nucléaire en danger,…mais ont soigneusement omis de noter que ce ne sont pas ces 10 ou 15% qui mettraient en péril la compétitivité du nucléaire en France.

Bien peu ont pris note du fait que tous ces investissements générateurs de hausse du coût devraient permettre à EDF de prolonger la durée de vie économique de ses centrales d’une vingtaine d’années si elle parvient à satisfaire l’Autorité de Sûreté Nucléaire et si les autorités politiques ne viennent pas contrecarrer un choix fait par EDF de manière implicite, c'est-à-dire sans qu’une stratégie ait été formulée, débattue et adoptée en toute transparence et de manière explicite. Ces termes sont ceux de la Cour, il s’agit là pour elle d’une façon elliptique pour exprimer qu’EDF a fait le choix, sans demander l’approbation du pays, de tout faire pour valoriser son parc des 58 réacteurs en service…certes, mais n’est-ce pas là le devoir d’une entreprise, qu’elle relève ou non de l’Etat ? On ne manquera pas de relever à ce sujet qu’EDF ne s’est jamais cachée sur ce sujet et qu’elle a lancé le dialogue depuis des années avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire.

Sur la base de l’estimation des coûts complets, passés, présents et futurs et selon la méthode du coût courant économique que la Cour préconise, celle-ci arrive à un coût du MWh produit de 49,5 €. EDF ne doit pas être déçue de ce résultat. On se rappelle en effet qu’EDF doit céder à ses concurrents (GDF-SUEZ, POWEO etc) une part très importante de sa production à des conditions supposées représentatives de celles de sa propre production et a du accepter le prix a été fixé à 42 €/MWh au1er janvier 2012 (tarif dit ARENH pour accès régulé à l'électricité nucléaire historique, conformément à la loi NOME). EDF avait longtemps tenté d’obtenir que ce tarif prenne en compte les investissements à venir mais le gouvernement n’avait pas voulu mécontenter ni les concurrents d’EDF, ni la commission de Bruxelles. Ce n’est que partie remise, le chiffre de 42 € devrait monter prochainement jusqu’à 50 €/MWh environ !

Le Rapport évoque d’autres points :

  1. L’Etat assure une partie du risque responsabilité civile en cas d’accident nucléaire et la Cour exprime le souhait que l’Etat fasse le nécessaire pour que les Conventions de Paris et de Bruxelles de 2004 qui constituent des révisions très substantielles des textes précédents entre rapidement en vigueur (8 ans après leur signature le Royaume Uni, la Belgique et l’Italie par exemple n’ont pas encore fait le nécessaire).

  2. Faute de chiffrage des externalités positives ou négatives, il n’est actuellement pas possible de faire des comparaisons entre les différentes formes d’énergie se lamente la Cour aussi recommande-t-elle que des travaux soient effectués pour évaluer les coûts d’infrastructures à charge de la collectivité, ceux pour l’environnement (émissions CO2 par exemple), ceux pour la santé ( pollutions, rejets dans l’eau ou dans l’air), impacts économiques et politiques (par exemple indépendance énergétique, consommation d’eau et compétitivité par exemple).

  3. La mise en réserve (actifs dédiés) des provisions pour couvrir les charges futures lointaines pour laquelle la Cour recommande, qu’après les rapides évolutions de ces dernières années, un examen nouveau ait lieu.

  4. Le fait qu’avec le déroulement des recherches liées à la Génération IV et en particulier au premier démonstrateur (ASTRID) les crédits publics allaient augmenter ; etc

Nous abrégeons car il est bien sûr impossible de résumer ici un rapport de plus de 400 pages.

La Cour exprime enfin le souhait de pouvoir actualiser son rapport de façon régulière (précisions nouvelles apportées, retours d’expérience et nouveaux chiffrages,..).

Dans sa présentation orale du Rapport, le premier président de la Cour a rappelé avec force que la durée de vie réelle des centrales était une variable tout à fait stratégique et a exprimé, avec humour, le souhait - non mentionné dans le rapport - que des analyses comparables soient faites par la Cour sur les autres formes d’énergie. Il faudra donc attendre encore quelque temps avant que soient officiellement publiés les chiffres relatifs aux productions d’énergies fossiles ou énergie éolienne (qui reste à plus de 80 € le MWh éolien terrestre et beaucoup plus pour l’éolien marin) et à l’énergie solaire qui est environ 5 fois plus cher.

En conclusion le rapport de la Cour des Comptes sur les coûts de la filière électronucléaire semble être un bon rapport mais il est bon de souligner qu’un bon rapport n’est pas nécessairement gage d’une bonne politique. Un observateur attentif, mais critique, ne manquera pas d’observer qu’il y a loin du contenu du rapport aux commentaires qui en sont faits dans la plupart des médias !

Bernard Lenail

Lien vers le rapport de la Cour des comptes :

Lien vers la réaction de la SFEN :