2012: Une page se tourne au Tricastin (8 février 2012)


Ce printemps, l'usine d'enrichissement de l'uranium d'Eurodif dénommée Georges Besse s'arrêtera définitivement. La société Eurodif a été crée au milieu des années 70 sous l’impulsion du CEA pour produire les services d’enrichissement nécessaires aux réacteurs à eau légère qui allaient constituer l’essentiel des parcs électronucléaires mondiaux. C’est une société multinationale : son actionnariat, qui a un peu fluctué au cours du temps, se composait en 2010 de AREVA (44,65 %), Sofidif (25 %), Synatom (Belgique) (11,11 %), ENUSA (Empressa Nacional del Uranio) (Espagne) (11,11 %) et ENEA (Italie) (8,13 %).

Mise en service en 1979, l’usine Georges Besse atteint sa capacité nominale annuelle en 1982 soit un peu plus de 10 millions d'Unités de Travail de Séparation (UTS/an)*. Le procédé de diffusion gazeuse mis au point et développé par le CEA, considéré comme plus performant et plus économique que l’ultracentrifugation de l’époque, se révèle très fiable et l'usine plus flexible que prévu. L'installation répond aux besoins d'EDF et de nombreux électriciens étrangers en s'adaptant aux fluctuations quantitatives et qualitatives du marché. Une expérience unique de traitement et de gestion de l'hexafluorure d'uranium (UF6), le gaz utilisé par le procédé, est accumulée. L'UF6 provient notamment, sous forme solide pour son transport, de l'usine Comurhex voisine.

Mais la diffusion gazeuse a un talon d'Achille: sa consommation d'énergie se situe autour de 2500 KWh par UTS, ce qui nécessite trois des quatre tranches EDF du Tricastin voisines pour alimenter l'usine à pleine capacité. En ces temps de hausse du prix de l'électricité, les coûts de production de l'usine deviennent prohibitifs. La cascade de 1400 étages dont chacun des plus gros était mu par un moteur électrique aussi puissant que ceux d'un TGV doit donc s'arrêter.


AREVA a anticipé cette échéance. Dés le début des années 2000, après une revue de procédés existants, AREVA se tourne vers la technologie d'ultracentrifugation utilisée par l'autre enrichisseur européen: Urenco. Des accords pour la production en commun de centrifugeuses sont signés et validés par la Commission Européenne et les Etats concernés en 2006. La société ETC (Enrichment Technology Company), possédée par AREVA et Urenco, livre les machines à implanter dans les usines en Allemagne, aux Pays Bas, en Angleterre et en France. L'usine GB II qui prendra le relais d'Eurodif peut voir le jour.

L'ultracentrifugation d' ETC possède de nombreux atouts: elle consomme 50 fois moins d'énergie que la diffusion, elle est modulaire, c'est-à-dire qu'on peut construire et mettre en service des unités de façon indépendante, elle est fiable, elle utilise le même gaz UF6 que la diffusion et il n'y a pas de différence de qualité entre les uraniums enrichis obtenus par les deux procédés. La modularité permet aussi de consacrer des cascades à l'enrichissement de l'uranium de retraitement, sans mélange avec les autres flux. Il y a un effet de série important: Une usine de 10 millions d’UTS/an, c'est plus de 100000 centrifugeuses installées. De plus, les conditions de pression et de température du gaz de procédé étant radicalement différentes, les ateliers d'entrée et de sortie (alimentation et soutirages) de la cascade sont simplifiés: moins d'hexafluorure sous forme liquide soit moins d'appareillages sensibles.


L'usine GB II est construite et sera exploitée par AREVA. Elle prend place sur le site du Tricastin à proximité des bâtiments d'Eurodif: L'unité sud est installée sur une zone que les pères fondateurs avaient réservés à un futur cinquième bâtiment de l'usine d'Eurodif…L'unité nord est installée à proximité de Comurhex et des ateliers de Réception Echantillonnage Contrôle de l'UF6 (REC), véritable interface entre les cascades et l'extérieur. Un "REC II" est construit, qui prend en compte les caractéristiques spécifiques de la centrifugation tout en profitant du savoir faire accumulé.

Dans chaque unité, les machines sont réceptionnées en provenance d'Allemagne ou des Pays Bas dans un atelier spécial. Elles sont conditionnées et préparées avant leur implantation dans les cascades. Les cascades peuvent alors être mises en service graduellement.


D'après le site internet d'AREVA (Plaquette de présentation GB2), chaque unité comprend:

- Un atelier d'assemblage des centrifugeuses (CAB)

- Un bâtiment comprenant les bureaux et la salle de commande (CUB)

- Les annexes qui abritent les fonctions de purification, d'alimentation et de soutirage de l'UF6

- Les modules regroupant l'ensemble des halls accueillant les cascades de centrifugeuses.


Le 12 avril 2011, la première production commerciale de l'usine GB II a eu lieu dans l'unité sud. Parallèlement, deux cascades par mois sont mises en service qui permettent de porter la capacité installée à 1 MUTS/an à fin 2011. En 2012, les premières cascades de l'unité nord vont être installées et mises en service. Ce déploiement va continuer d'une façon régulière jusqu'en 2016 ou la capacité nominale de l'usine GB II de 7,5 MUTS/an sera atteinte. L'investissement total s'élève à 3 milliards d'Euros.


En attendant, près de 3000 MW électriques pourront être remis à la disposition du réseau et les opérations de décontamination et de démantèlement de l'usine Georges Besse pourront commencer.


Guy Lamorlette


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* L'UTS: Unité mesurant l'effort de séparation de deux ou plusieurs isotopes d'un même corps. En l'occurrence, il s'agit ici de séparer l'uranium 235, fissile dans les réacteurs REP et REB de l'uranium 238, afin d'augmenter la proportion du premier d'un facteur 5 à 7 selon les besoins.

Comptez environ 100000 UTS pour le fonctionnement d' un REP de 1000MW pendant un an.