Fukushima, plus de deux mois déjà (22 mai 2011)

Voilà deux mois passés que, à la suite d’une catastrophe naturelle sans précédent (séisme suivi d’un tsunami de puissances colossales), plusieurs réacteurs de la centrale de Fukushima échappaient au contrôle de son exploitant. En quelques jours le public a pu assister en direct au déroulement d’un évènement totalement inattendu. Comment un tel évènement était-il possible dans un pays comme le Japon, connu pour sa haute technologie et son professionnalisme ?

Alors que, de par le monde, les experts nucléaires restaient éberlués et cois devant l’enchaînement de dysfonctionnements graves mettant en cause l’autorité comme l’exploitant et devant mettre, peu à peu, 4 des 6 réacteurs du site définitivement hors service, on vit très rapidement que dans les médias l’accident nucléaire venait occulter la catastrophe naturelle et ses quelque 30 000 morts et disparus.

On trouvera dans la Revue Nucléaire et Energies N°56 (page 4) un point détaillé à jour au 17 avril (1).

Très vite, dans beaucoup de pays, les autorités et les gouvernements concernés ont exprimé la nécessité de tirer tous les enseignements de l’accident de Fukushima et de fixer des règles de sûreté internationales.

En parallèle, et avant que les premières causes et conséquences locales de l’accident ne soient identifiées, les organisations anti-nucléaires ont manifesté leur satisfaction de voir un accident susceptible de conduire enfin à l’abandon du nucléaire.

Sur le site accidenté, les semaines passant, le niveau de l’ambiance radiologique décroit (d’un facteur de l’ordre de 5 sur un mois), les rejets tant dans l’atmosphère qu’en mer ont presque cessé et l’exploitant rétablit peu à peu les circuits qui permettront la reprise progressive du contrôle des installations sous 2 à 3 mois (stabilisation et amélioration des conditions de travail).

Ultérieurement, une fois atteint un état ne nécessitant plus le refroidissement des cœurs, après traitement des quelques 100 000 m3 d’eau salée et contaminée présents sur le site et le renforcement des structures endommagées par les différentes explosions, soit vers la fin de l’année, le début de l’enlèvement des combustibles pourra être envisagé.

D’ores et déjà un point extrêmement important mérite d’être souligné, ce que ne font pas les médias : les conséquences au plan sanitaire, à court et long terme, devraient être très faibles selon les déclarations faites il y a quelques jours par le vice-ministre japonais de la Santé et des représentants de l'Institut National des Sciences radiologiques du Japon devant l’Assemblée Générale de l’OMS. En clair, il faut comprendre bien évidemment : pas d’augmentation des risques de cancer et de leucémie. Cela ne doit pas surprendre car les autorités civiles se sont montré extrêmement efficaces (évacuation très rapide ses populations les plus exposées, recours à des moyens de prévention et de contrôle très performants sans oublier des conditions météorologiques relativement favorables) et tout cela malgré les difficultés considérables découlant du séisme et du tsunami.

Cela démontre bien que toute assimilation de Fukushima à Tchernobyl, malgré un même classement au niveau 7 de l’échelle INES, est dépourvue de sens (en première approximation des rejets inférieurs d’un facteur de l’ordre de 10, l’essentiel des retombées s’étant concentré dans une zone de forme triangulaire d’environ 400 km2 avec une activité du sol d’environ 1200 kBq/m2 et où l’irradiation dépasserait 18 mSv/an, chiffres à comparer avec ceux de Tchernobyl, à activité comparable, où s’agissait d’environ 10000 km2 pour la zone interdite, avec une dose d’irradiation se situant entre 50 et 100 mSv/an.

L’exploitant Tepco, de son côté, se montre très rigoureux en matière d’exposition aux risques radiologiques : au 11 mai, 30 personnes seulement avaient été exposées à des doses de plus de 100 mSv et aucune n’avait atteint le niveau de 250 mSv autorisé par les autorités compte tenu du contexte très particulier. Les récentes surprises dont ont fait l’état, il y a quelques jours, les premiers intervenants ayant pénétré dans les installations ne devraient guère affecter ces perspectives même si des précautions supplémentaires devront être adoptées compte-tenu qu’une part plus importante des cœurs a fondu.

Il ne faut bien sûr pas en déduire que tout va bien : beaucoup reste à faire au Japon : revoir profondément l’organisation de la sûreté nucléaire, clarifier ce qui relève du gouvernement, de l’autorité de sûreté et de l’industrie, améliorer la culture de sûreté chez les exploitants, renforcer certaines normes et modifier de nombreux équipements jouant un rôle dans la sûreté. Tout cela prendra du temps. Le Japon révisera à la baisse ses ambitions nucléaires mais n’abandonnera pas le nucléaire, il devra donc faire de plus grands efforts d’économie d’énergie.

Cependant, à travers le monde, les autorités de sûreté se préparent à tirer les premiers enseignements de l’accident et lancent des études complémentaires de sûreté sur tous les sites pour apprécier les marges de sécurité des installations dans des conditions très sévères (séismes, inondations, situations extrêmes,.. et leur cumul) et les risques éventuels en termes de rejets radioactifs.

Au plan national comme au plan international, les gouvernements ne sont pas inactifs : préparation de réunions spéciales du G8, du G20, de l’AIEA, de l'OCDE, de l’UE…L’industrie, de son côté, n’est pas en reste. Le chemin vers l’adoption de règles communes et contraignantes parait cependant long et difficile : comment en effet arriver à des compromis entre, d’une part, des pays qui veulent maintenir ouverte l’option nucléaire, cherchent à en améliorer la sûreté en tirant les leçons de Fukushima et se proposent de mettre en place un système coercitif pour le respect des règles et, de l’autre, des pays qui n’ont, d’autre but, que d’arrêter aussi vite que possible tous les programmes nucléaires ?

Ce qui vient de se passer au plan européen est à cet égard tout à fait instructif et navrant : le 21 mars les ministres de l’énergie de l’Union ont convenu de soumettre tous les réacteurs européens à des « tests de résistance » pour évaluer leurs faiblesses et insuffisances à la lumière de l’accident de Fukushima. A cet effet, ils ont demandé à WENRA (Western European Nuclear Regulators Association, l’association des autorités européennes compétentes en matière de sûreté nucléaire) de définir le cahier des charges de ces tests. WENRA a donc défini l’objet, la méthodologie à suivre et le calendrier pour mener à bien de tels tests. Les ministres ont également chargé la Commission, en l’occurrence le commissaire à l’énergie Günther Oettinger, de suivre le projet.

Ce qui devait arriver est arrivé : le commissaire a refusé la proposition de WENRA, rédigée pourtant par des spécialistes reconnus de la sûreté nucléaire (pas nécessairement de sécurité), et a voulu imposer ses propres vues : un champ beaucoup plus large (attaques terroristes, chute délibérée d’avion et virus informatique par exemple) et un travail sensiblement plus rapide. Bref le commissaire voulait des tests exhaustifs et un peu bâclés, sans doute avec l’espoir – avec le soutien des organisations anti-nucléaires – de pouvoir hâter l’arrêt d’un plus grand nombre de réacteurs.

Comme toujours à Bruxelles, un compromis sera trouvé - sans doute dans la douleur - mais chacun aura pu constater que la Commission était très influencée par les ONG et que deux pays étaient opposés à tous les autres : l'Allemagne et l'Autriche. Un point reste en suspens : l’implication, ou non, du public, c'est-à-dire celle d’experts internationaux et indépendants. En attendant le programme européen risque de prendre du retard.

Par ailleurs, le Parlement européen n’a pas pu définir le 7 avril une position commune sur la sûreté nucléaire.

Ces difficultés n’ont pas retardé le lancement, le 9 mai, du programme français. Celui-ci est sensiblement plus large que ce que recommandait WENRA puisqu’il recouvre toutes les installations importantes : réacteurs y compris l’EPR de Flamanville et les gros réacteurs de recherche (Osiris et RHF) et toutes les installations majeures du cycle (La Hague, Tricastin, MELOX, Comhurex, Socatri, FBFC,..). Il porte aussi sur les erreurs de gestion et la difficile question de la sous-traitance, ce qui constitue une réelle nouveauté

Sur un plan plus politique, les « verts » font assaut de prises de position dans tous les médias sur le nécessaire abandon du nucléaire. Ils cherchent à capitaliser sur l’occasion que leur offre l’accident de Fukushima. Ils feignent, semble-t-il, d’ignorer qu’en voulant faire du tort au nucléaire, c’est en fait au climat qu’ils risquent d’en faire. En effet, les choses étant ce qu’elles ce qu’elles sont, l’arrêt de centrales au Japon, en Allemagne - et peut-être aussi en Belgique ou en Suisse - ne peut que se traduire par un recours accru au charbon et au gaz, pendant un certain nombre d’années, les énergies renouvelables pouvant certes apporter un complément utile, mais ne pouvant en aucune façon se substituer à la production nucléaire au Japon, aux Etats-Unis, en Suède, dans l’Union européenne par exemple ou bien sûr en France.

Profiter de la chance pour reprendre l’expression utilisée par les écologistes eux-mêmes offerte par Fukushima d’abandonner le nucléaire et de réduire la consommation mondiale d’énergie relève malheureusement du rêve, un rêve égoïste : de quel droit interdire par exemple aux Chinois, aux Indiens, aux habitants des pays encore en développement d’accéder à un niveau de vie et de confort comparable à ceux des pays du Nord ? Comment imposer à ces derniers, brutalement, un changement d’habitudes très pénible et coûteux, en dépit de tout ce que l’on entend répéter sur l’air des lampions depuis deux mois ?

Enfin, après l’échec des conférences sur le climat (Copenhague 2009 et Cancun 2010), qui peut encore croire, aujourd’hui, après Fukushima, que les pays réunis, dans quelques mois, à Durban, seront enclins à prendre des engagements fermes pour réduire les rejets de gaz à effet de serre si la production nucléaire est compromise ? Ou que le protocole de Kyoto soit prolongé contre toute attente ? Curieusement la commissaire européenne à l’environnement est restée inaudible sur tous ces sujets au cours des deux derniers mois.

Bernard Lenail



(1) http://www.uarga.org/downloads/Nouvelles_du_nucleaire/ne_56_avril_2011.pdf